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Ton combat va s'arrêter. Ton combat s'arrête. Ta vie s'arrête. Nous le savions tous. Ce que nous ne savions pas, ce que nous n'avions pas imaginé, c'est la façon dont ta vie s'est arrêtée.
Printemps 2007 : Marie-Louise semble bien se porter. Elle se fatigue très vite, mais aucun signe alarmant. Pourtant ses résultats d'analyse sont très inquiétants. Le médecin conseille de l'hospitaliser. Ce qui est fait. Nous sommes inquiètes : comment va-t-elle réagir ?
Marie-Louise nous cueille par son enthousiasme ! Elle trouve sa "maison" très bien. La chambre est jolie, elle a une belle vue, et "Tout le monde est gentil ici, ils s'occupent bien de moi, ils font le lit, le ménage". Elle découvre un luxe qu'elle pensait hors de portée : "Et tu sais quoi ? Ici on mange au restaurant tous les jours. Le matin, le midi et le soir ! Ils m'ont dit que je pouvais avoir des invités. Tu viendras manger au restaurant avec moi ?". A ceux qui viennent la voir, elle vante le confort de sa chambre, et fait visiter le "Restaurant".
Nous comprenons qu'elle a totalement oublié qu'elle avait un appartement un ou deux jours avant. Mais cela simplifie sa vie, et la notre. Les examens s'enchaînent, les résultats sont de plus en plus mauvais.
Et un jour, coup de tonnerre : la chambre de Marie-Louise est vide ! Elle n'est plus là. Moment de panique. Puis nous apprenons qu'elle a été transférée dans un autre hôpital, pour être opérée. Course vers le nouvel hôpital. Marie-Louise est bien là, consciente, mais mal en point. Elle est heureuse de voir tout ce monde. Elle reconnaît chacun, même si elle mélange un peu les prénoms. Par contre, elle a mal et elle ne comprend pas pourquoi. Elle ne réalise pas qu'elle n'est plus au même endroit.
Après le soulagement de l'avoir retrouvée en vie, vient le temps de la colère. Marie-Louise est sous tutelle. Les deux hôpitaux le savent, ont tous les dossiers, ont le nom et le numéro de téléphone de la tutrice. La tutrice devait être informée de cette décision médicale. Elle devait donner son accord ou exprimer son refus. Et si le médecin ne suivait pas son avis, il devait l'en informer. Mais quand même ! Un Médecin est un Médecin, il sait, LUI, ce qu'il fait. Il ne va pas s'encombrer l'esprit en demandant son avis à une des filles de sa patiente, même si elle est "Tutrice légale" nommée par un juge ! Il a autre chose à faire. Allons, allons, restons calme. Après tout, ce n'est qu'une petite intervention chirurgicale sur une femme de 87 ans, qui ne comprend rien à ce qu'il lui arrive. On ne va pas s'énerver pour si peu.
Marie-Louise est ramenée au premier hôpital. Elle est consciente, mais plus du tout autonome. Le médecin qui la suit dit clairement que tous les soins vont être arrêtés, sauf les soins palliatifs, pour la laisser partir en douceur. Car l'opération n'a apporté aucun mieux, bien au contraire. Mais pas de chance, nous sommes en juillet et le médecin part en vacances. Un autre lui succède. Là encore, rien n'est dit, alors que chaque jour, Marie-Louise reçoit nos visites. Et nous comprenons que les soins ont repris. Je suis présente lorsqu'arrive une infirmière, une seringue à la main. Elle procède à l'injection. Marie-Louise, calme jusque là, s'agite, geint : "Mal... mal...". Je dis à l'infirmière : "Mais arrêtez, vous lui faites mal". L'infirmière, les yeux brillants et d'une voix fluette : "Je ne peux pas, ce sont les ordres du médecin". Le médecin, l'incarnation du Pouvoir Suprême. Il nous refuse un rendez-vous.
Cet après-midi là, nous sommes toutes les six dans la chambre de Marie-Louise, nous, ses six filles. "Le médecin ! ". Il passe dans le couloir. Sans nous concerter, nous sortons toutes dans le couloir. Il se retourne. "Vous pouvez nous recevoir, maintenant ?". "Non". Une scène surréaliste, dans ce couloir d'hôpital. Le médecin, dos collé au mur. S'il avait pu passer au travers, il l'aurait fait. Autour de lui, nous les six filles de Marie-Louise. André et Marie-Louise nous ont bien éduquées : nous parlons fort, mais pas de menaces, pas d'insultes. Juste une demande : "Arrêtez de la maltraiter. Laisser-là partir doucement, sans la faire souffrir !". Nous lui rappelons qu'il ne devait plus y avoir que des soins palliatifs. Il détourne la tête.
- Regardez-nous ! Nous sommes ses six filles, nous sommes toutes là, et la seule chose que nous vous demandons : "Arrêtez de la maltraiter" !
- Je ne peux pas arrêter les soins, je suis médecin, je dois soigner. Je n'ai pas fait 15 ans d'études pour laisser mourir les gens sans rien faire. Je sais que le Docteur X... voulait arrêter les soins. Moi, je ne peux pas, je n'ai pas le droit.
Cette entrevue houleuse a-t-elle porté ses fruits ? Je le pense, car ensuite, nous n'avons plus constaté de soins douloureux ou invasifs. Marie-Louise s'enfonce dans l'inconscience. Elle ne parle plus, n'ouvre pratiquement plus les yeux.
Marie-Louise s'est éteinte le mercredi 15 août 2007 à 6 heures du matin. Seule.
Voilà Maman, je l'ai fait. Je t'avais promis de le faire. Pas facile, et à la fois pas si compliqué : ce texte, je le porte en moi depuis 14 ans ! De nombreuses fois, je me le suis raconté. Il repose sur mes souvenirs. Mais le mettre par écrit... Sais-tu... Sais-tu que si on m'avait tendu une seringue en me disant :"Cela ne lui fera pas mal, elle va s'endormir doucement, dans le calme, pour toujours", alors j'aurais attendu que nous soyons toutes les six autour de toi, j'aurais pris la seringue et j'aurais fait la piqûre.
J'ai beaucoup hésité à publier ce texte. La fin de vie, la volonté de mourir dans la dignité relèvent de l'intime. Mais s'invitent régulièrement dans l'actualité, comme le rappelle le décès d'Alain Cocq, le mardi 15 juin 2021.
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