Ma rencontre avec Alfred Huin (1838-1904)

• Bonjour, cousin Alfred
• Bonjour... Cousine ? Je connais mes cousines, mais je ne vous connais pas !
• C’est normal, je suis une cousine éloignée.
• Vous habitez loin ?
• Non, pas vraiment. Je voulais dire éloignée dans le temps. Je suis une cousine au ... 14ème degré. Vous avez vécu au XIXème siècle, et je vis au XXIème siècle.
• Et ça veut dire quoi ?
• Nous avons des ancêtres en commun : Martin Aubertin et Marie Bégin. Ce sont deux de vos arrière-arrière-arrière-grands-parents maternels. Pour moi, ce sont... euh...des ancêtres maternels à la IXème génération.
• Et ça fait de nous des cousins ?
• Oui... Des cousins un peu éloignés, mais cousins quand même.
• Et alors ? Cela nous mène où ?
• Assez loin, et cette fois en kilomètres. En Nouvelle-Calédonie sur la presqu’île Ducos.
• Ah non, la Nouvelle-Calédonie, elle est derrière moi. Et je n’ai pas envie d’en parler.
• Alors... Parlons de Paris, de 1870...
• La Commune, oui, je veux bien en parler... J’étais jeune... 32 ans... C’est si loin...Les camarades, les combats, la cause. On y croyait, oui, on y croyait. On était prêts à mourir pour notre République ! Et vous, dans votre XXIème siècle, vous avez quoi ? Un Roi, un Empereur, un Président de la République ? Parce que moi, j’ai tout vu passer !
• Depuis le 4 septembre 1870, date à laquelle la IIIème République a été proclamée, nous sommes en République, et nous avons un Président de la République. 
• Alors, on ne s’est pas battus pour rien ! 150 ans de République, c’est bien. Il faut dire qu’on l’a payé cher notre République. La guerre, la défaite, le siège de Paris, et ensuite les Versaillais... Et encore moi, j’ai eu de la chance. J’ai été arrêté, j’ai été condamné, j’ai été déporté... Je n’ai pas été fusillé froidement devant un mur...
• Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Vous pouvez sans doute m’éclairer. Dans le rapport du jugement du Tribunal Militaire de Versailles, le 9 janvier 1872...
• Vous savez ça ?
• Oui, aujourd’hui, ces jugements sont publics. Donc, dans ce jugement, il est dit que vous avez été arrêté "tenant une arme étant revêtu d’un uniforme militaire", et que vous avez "fait usage de cette arme...". Mais il est aussi écrit que vous ne faisiez pas partie de la Garde Nationale. J’ai du mal à suivre.
• Non, non, non... Des questions comme ça, j’en ai eu des dizaines. Et je réponds toujours la même chose : les armes, je les réparais, ré-pa-rais. Et c’est tout !
• Oui, c’est aussi écrit : vous étiez serrurier, et pendant la Commune, vous répariez les armes des soldats de la Garde Nationale.
• Voilà, c’est ça : je réparais les armes. Et j’aimais ça. Les serrures, les armes ... J’ai toujours aimé ça. Au bagne, ils m’ont laissé réparer des serrures. Mais pas les armes ! Je me demande bien pourquoi... Alors, je suis redevenu forgeron.
• Vous pouvez me parler de votre séjour à Ducos. Vous y êtes arrivé le 22 septembre 1875, condamné à la déportation en résidence fortifiée et le 15 janvier 1879, toute sanction a été levée. Quelle était votre vie pendant cette période ?
• Non ! Cousine Je-sais-tout, renseignez-vous toute seule sur la vie en déportation. Moi, je n’ai aucune envie d’en parler.
• D’accord... On peut peut-être parler d’Alfred Billoray, avec qui..
• Alfred ! Mon ami, mon frère... Il m’a suivi dans toute cette histoire...
• Vous étiez ensemble à la prison de Thouars en mars 1875, en attente du départ vers la Nouvelle-Calédonie. Et là, vous avez tenté une évasion un peu ... Enfin, qui ne semble pas vraiment préparée...
• On a eu une occasion, alors, on a tenté. Mais quelle misère ! On a erré dans la campagne, on s’est perdus, on n’avait rien à manger, on avait froid. Pour finir, on s’est effondrés dans un fossé. Ce sont les gendarmes qui nous ont réveillés ! Et vous savez, arrivés à la gendarmerie... On a eu à manger, on a eu des vêtements chauds... Finalement... On est juste sortis prendre l’air... On aurait bien voulu que ça marche, on aurait voulu à nouveau être libres... Mais au lieu de ça, à nouveau la prison, puis le bateau...
• Et le voyage vers Ducos, à bord de la Réveillère, vous voulez en parler ?
• Long, long... Et la mer, partout. Pour un gars des Vosges, il y a mieux ! Et pareil pour revenir ! Des voyages comme ça, ce n’est pas pour moi. Là-bas, Alfred était avec moi.
• Et Alfred Billoray, qu’est-il devenu ?
• Il n'a pas tenu le coup. Même pas deux ans. Il est mort le 27 février 1877. C'est gravé dans ma mémoire... On parle d'autre chose !
• D’accord... Je sais que vous êtes rentré à Paris, dans votre XIVème arrondissement. Mais je ne sais pas quand...
• Des questions, des questions, toujours des questions ! Vous ne seriez pas un peu obsédée ? Je suis rentré à Paris, et c’est même là que je suis mort, dans "mon" XIVème arrondissement, comme vous dites. En 1904 ! J'ai vu le XXème siècle. Je l'ai vu, et ce n'est pas grâce à "eux" !
• Je tente une dernière question. Vous y répondez si vous le voulez. Albertine est décédée avant vous, mais je ne sais pas quand. L’avez-vous revue à votre retour ?
• Cousine Je-sais-tout, en fait, vous ne savez pas grand-chose ! Cherchez, et vous finirez par trouver... Allez, je suis quand même bien content de vous avoir rencontrée. 150 ans de République... Je vais aller fêter ça avec...avec qui je veux ! Je suis libre... Au revoir Cousine
• Au revoir Cousin Alfred.

Alfred Huin est un cousin maternel d'Arsène Fournier, notre Sosa N° 1

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