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Alsace et Lorraine : Emigrer

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L'auteur de cet article est Robert Weinland. J'ai été en contact avec lui, il y a bien des années, et il m'a donné son accord pour reprendre ce texte. J'ai retrouvé l'adresse de son site (voir en fin d'article), mais pas la page où l'article figurait.

Quitter l'Alsace pour l'Amérique du Nord

[clic] Gustav Wentzel (1859-1927), Les émigrés

Pour bien comprendre historiquement l'émigration alsacienne, il faut la considérer comme faisant partie du grand exode des régions du sud ouest germanique qui comprennent le Bade-Wurttemberg, la Hesse et le Palatinat. Généralement appelés "palatins" dans l'Amérique coloniale, ces immigrants, presque tous protestants, ont fui une détresse économique amplifiée par les destructions des guerres fréquentes. Les alsaciens se confondaient avec les autres candidats à l'émigration pendant leur descente du Rhin et la traversée vers l'Amérique.

Il n'est pas possible de déterminer précisément combien d'alsaciens sont arrivés en Amérique avant 1775. Les listes d'émigrants "palatins" citent souvent des personnes venant d'Alsace, de villes ou de villages alsaciens. La majorité s'est installée dans l'est de la Pennsylvanie, mais certains se sont disséminés dans d'autres régions, notamment ceux qui ont fondé en 1719 une colonie sur le Mississipi à quelques kilomètres de la Nouvelle Orléans, appelée la "German Coast". Les colons de Louisiane ont été rejoints par un contingent d'alsaciens luthériens vers 1750. Victime de persécutions religieuses en France, ce groupe a été exilé en Louisiane par le gouvernement français. Mais les immigrants alsaciens du 18ème siècle en Louisiane, comme ailleurs, se sont fondus parmi des groupes germaniques plus importants et ont perdu leurs caractéristiques distinctives.

Entre 1775 et 1825, peu d'émigrants européens sont entrés en Amérique du Nord. Mais plus tard, le flux en provenance des états germaniques du sud-ouest a grossi d'une manière significative et vers 1850 il a pris les proportions d'une invasion. Des alsaciens ont pris part à ce mouvement et l'Alsace est devenue une région d'émigration française importante. En Louisiane par exemple, une majorité écrasante des immigrants français de la décennie qui a précédé la Guerre Civile étaient des alsaciens. Comme au cours de la période coloniale, la plupart des immigrants alsaciens s'installaient dans des enclaves germaniques. Il y avait inévitablement un nombre important de mariages entre eux, particulièrement parmi les personnes qui partageaient les mêmes convictions religieuses.

Les causes de l'émigration

Les problèmes locaux les plus graves étaient rencontrés dans les provinces d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté. Sous l'Empire, ces provinces étaient devenues des centres importants pour le commerce avec les régions d'Europe centrale qui étaient tombées sous contrôle militaire français. Cependant, l'invasion de 1814 et l'occupation militaire de la région en 1815 n'avaient pas seulement interrompu ce commerce, mais elles avaient dévasté l'agriculture dans la région. (Entre le 23 septembre et le 5 décembre 1815, 288.634 soldats et 93.938 cavaliers étaient installés dans le Bas-Rhin). A la fin de l'occupation militaire, les villes frontalières autrefois florissantes ont découvert qu'elles avaient été supplantées dans leur position de centres commerciaux par les ports maritimes de l'Atlantique et de la Méditerranée nouvellement créés.

La crise économique résultante a été aggravée par une augmentation importante de la population qui a entraîné pour les jeunes générations des difficultés croissantes à trouver un emploi et un logement. La croissance de la population alsacienne a été particulièrement importante, passant de 800.000 en 1814 à 914.000 en 1830, puis à 1.067.000 en 1846. L'augmentation importante de la population générait un nombre toujours croissant de personnes qui ne pouvaient pas obtenir de terres dans cette région essentiellement agricole. Même ceux qui avaient la chance de pouvoir cultiver la terre subissaient un déclin implacable de leur train de vie à cause de la restriction d'accès aux forêts autrefois communales et de l'augmentation des amendes pour 'braconnage' de bois qui entraînaient ensuite des dépenses de chauffage supplémentaires.

Partir et souffrir pour survivre

[clic] Charles Frederic Ulrich (1858–1908)

Des capitaines de bateaux sans scrupules étaient prompts à profiter de la misère de la population alsacienne. A partir de 1817, l'Alsace fut régulièrement visitée par des "recruteurs" russes et américains - qui étaient en fait les agents de divers armateurs - se faisant passer pour des voyageurs anglais, hollandais ou français et qui répandaient des histoires fabuleuses sur les opportunités économiques qui attendaient les alsaciens impatients de partir aux Etats-Unis, en Pologne occupée par les russes et en Ukraine. Soucieux de profiter de ces promesses, qui n'étaient malheureusement que des opportunités fictives, et décidés à renoncer à attendre longuement et inutilement un passeport délivré par des autorités peu disposées à les laisser partir, des dizaines de milliers d'alsaciens quittèrent leur province pour les ports d'attache des employeurs de ces recruteurs. Quand ils arrivaient à ces ports, les émigrants alsaciens, qu'un observateur contemporain décrivait comme des personnes qui avaient touché "l'extrême fond de la pauvreté" ou qui "se trouvaient dans des conditions à peine meilleures", étaient à la merci des capitaines de bateaux qui ne laissaient aux fugitifs que le choix entre l'arrestation pour cause de voyage illicite, ou la traversée en échange d'un contrat de véritable esclavage. Conçu pour fournir une nouvelle source de travailleurs aux planteurs de Louisiane après l'arrêt de l'importation d'esclaves africains en 1807, ce système d'exploitation avait été utilisé avec tant d'abus en 1816 et 1817, qu'en 1818 l'assemblée de Louisiane avait édicté des lois qui protégeaient spécifiquement les droits des immigrants amenés dans le pays en tant que "rédempteurs". "Une loi pour la liberté et la protection des personnes amenées dans cet Etat en tant que rédempteurs", par exemple, donnait le pouvoir aux "gardes" payés par l'Etat de protéger les immigrants qui avaient été contraints à signer des contrats et de poursuivre les capitaines de bateaux coupables de l'extorsion de leurs signatures.

Les efforts de l'Etat pour infléchir l'exploitation débridée des immigrants furent couronnés de succès, mais ils ont entraîné de nouveaux efforts des armateurs qui ont tenté dès 1818 de demander pour le voyage des sommes exorbitantes aux passagers de troisième classe (entrepont).

Des dizaines de milliers d'alsaciens partirent vers la Russie et les Etats-Unis entre 1817 et 1839. En fait, les chiffres officiels, qui ne dénombrent qu'une partie infime de tous les immigrants alsaciens, indiquent que 14.365 départs autorisés vers les Etats-Unis eurent lieu à partir du Bas-Rhin entre 1828 et 1837 -- 11.069 de ceux-ci à partir des seuls arrondissements de Wissembourg et de Saverne.

L'émigration alsacienne qui se poursuivait était alimentée par l'instabilité continue de l'économie de la province. Beaucoup d'alsaciens qui avaient d'abord lutté contre la tentation de quitter leur maison durent bientôt regretter leur décision, car après une légère amélioration de la situation économique au début des années 1820, l'économie locale fut dévastée par la panique de 1825. Dans leurs tentatives infructueuses pour régler leurs problèmes économiques qui s'aggravaient, certains paysans alsaciens - dont beaucoup furent finalement contraints d'émigrer - empruntaient périodiquement de l'argent à des colporteurs juifs et à des prêteurs des villes et des villages. Ces prêteurs - qui furent souvent traités d'usuriers par les emprunteurs - devinrent les boucs émissaires du déclin du train de vie de la paysannerie, et des crises périodiques d'antisémitisme conduisirent un grand nombre de juifs alsaciens à émigrer au cours de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.

La vie n'était pas bien meilleure pour les travailleurs des usines du textile et de l'industrie lourde de la région. Grâce aux ressources locales de charbon, de minerai de fer et de la disponibilité d'une force de travail facilement exploitables (en particulier des femmes et des enfants), l'Alsace était devenue l'une des régions les plus lourdement industrialisées de France au début du dix-neuvième siècle. En fait, en 1840, un travailleur de l'industrie sur dix était alsacien. Mais la vie de ces travailleurs de l'industrie était souvent plus difficile que celle des paysans, particulièrement dans les usines de coton, où les femmes et les enfants travaillaient pendant de longues heures dans des conditions dangereuses et pour de maigres salaires. Les salaires des usines alsaciennes avaient très peu augmenté entre 1815 et 1848, mais "la plus petite crise saisonnière ou générale provoquait le chômage qui menaçait la vie de ces travailleurs." [André Jardin et André-Jean Tudesq, Restauration et Réaction, 1815-1848] Comme Jardin et Tudesq l'ont noté, "lorsque quelques usines fermaient, un groupe entier de la population était réduit à la mendicité."

Et en Lorraine ?

[clic] Edvard Petersen (1841–1911)

La Lorraine voisine avait rencontré moins de problèmes pour s'adapter à l'industrialisation, simplement parce que cette région frontalière plus montagneuse ne pouvait supporter qu'un développement industriel moins important. Le manque d'implantation industrielle de base avait créé des problèmes socio-économiques dans cette province. Les ressources agricoles limitées de la Lorraine, déjà grevées au moment de la Restauration, ne purent supporter l'augmentation de la population locale de 1.406.000 en 1821 à 1.648.000 en 1846. L'impossibilité pour l'infrastructure économique de la région d'absorber les paysans chassés de la terre par l'augmentation de la population, contrairement à un corridor fortement industrialisé et généralement prospère, situé au nord le long de la frontière belge, qui avait une densité de population bien supérieure (à certains endroits presque le double de la moyenne nationale) et une stabilité démographique plus grande que toute la France, avait déclenché une émigration persistante de Lorrains à la fois vers les autres régions de France et vers d'autres pays.


Les causes de l'émigration mosellane
  • La misère : mendicité, salaires et charges, crises, emprunts aux juifs que l'on ne peut pas rembourser.
  • Manque de terres (les terres sont louées au seigneur), manque de travail et répression des délits forestiers.
  • Le climat : hivers longs et rigoureux, calamités naturelles.
  • Les épidémies: petite vérole en 1826 et 1827, choléra en 1832 et 1849.
  • Les guerres: fréquentes au cours des 18ème, 19ème et 20ème siècles. Entre 1804 et 1814, on cherchait à se soustraire au tirage au sort qui menaçait d'un service de 7 ans.
  • Les persécutions religieuses et politiques : anabaptistes et mennonites sont parmi les premiers arrivés en Amérique du Nord. Refuge des personnes recherchées, des filles mères, des anciens condamnés. Les mennonites du canton de Sarrebourg, de la région de Dabo et de Lorquin qui ont refusé de prendre les armes.
  • L'aventure : attrait de l'inconnu.
     

Sources

  • Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups, Stephan Thernstrom (Cambridge: Harvard University Press, 1980), p. 29-31.
  • Article de Frederick C. Luebke / Foreign French: Nineteenth century immigration into Louisiana, de Carl A. Brasseaux Lafayette, LA: Center for Louisiana Studies, Univ. of Southwestern Louisiana, c1990-1992; vol. 1: 1820-1839; vol. 2: 1840-1848.
  • Viva America, par Marie-José Marchal
  • Liste des passagers arrivés dans les ports américains, 1850-1893, A. Glazier et William Filby

Pour les généalogistes et pour ceux qui s'intéressent à l'histoire des familles, Germans to America constitue la source principale des immigrants d'origine germanique. Cette source concerne la période de 1850 à 1893. La collection des volumes publiés reproduit les informations enregistrées sur les listes de passagers originales de tous les bateaux arrivés dans les ports des Etats-Unis en provenance de l'étranger. Sont inclus: les bateaux qui étaient partis de ports allemands ou ceux qui transportaient des passagers déclarés d'origine germanique. Pour chaque émigrant, on trouve les nom et prénoms, âge, sexe, profession et province ou village d'origine (quand il est disponible). Un index complet des patronymes figure à la fin de chaque volume.

Des Alsaciens arrivés en Normandie Voir
Johann Nicolaus et Catharina Nehlig Voir
Pourquoi ne se sont-ils jamais mariés ? Voir
Les descendants de Louis Bouchaud et Marie-Thérèse Scheurwegh Voir
Catharina Nehlig (1842-1931) Voir

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