Battrans, dans la Haute-Saône, le 18 mai 1790(1er acte, page gauche), il y a 233 ans. Je suis conviée au mariage d'Etienne Laurençot et Thérèse Gaillard. Je me cale dans un coin de la place et j'attends. J'aime bien les mariages. Et aujourd'hui, je sais qui sont les mariés... Mais, car il y a toujours un "mais...", j'ai été invitée par Armand Laurençot, et je sais pas qui il est. Frère, cousin, oncle, ascendant ? Un peu de patience...
C'est donc vrai ! Vous êtes venue ! Je n'y croyais qu'à moitié.
Euh... Bonjour. Vous êtes....
Je suis très impoli. Commençons par "Bonjour", c'est mieux. C'est parce que je suis très étonné de vous voir ici.
Si on me donne une date, un lieu, une raison, alors je viens. Moi, je suis Marie. Et vous, qui êtes-vous ?
Armand Laurençot pour vous servir.
Certes, mais vous êtes un frère, un cousin, un....
Oh là là ! Rien de tout cela. Je suis un arrière-arrière-petit-fils d'Etienne et Thérèse.
Un arrière-arrière-petit-fils ! Je comprends pourquoi je ne vous ai pas trouvé. Et vous êtes... vivant ?
Vivant je l'ai été. Mais je suis décédé en 1980, donc pas de panique, je peux vous rencontrer.
Bien ! Et pourquoi m'avez-vous demandé de venir aujourd'hui ?
C'est simple : pour que vous me parliez de ces ascendants qui m'intriguent beaucoup. Des hommes des bois... Je descends d'hommes des bois !
Vous inversez un peu la proposition ! Normalement, c'est celui qui m'invite qui me raconte son histoire. Et vos ascendants n'étaient pas "des hommes des bois", mais "des hommes du bois" !
C'est la même chose.
Pas vraiment. Parler des hommes des bois, c'est repartir très loin, c'est imaginer des hommes qui vivent dans de pauvres conditions, isolés de tout et de tous. Vos ascendants étaient des "hommes du bois". Ils avaient des métiers, des savoir-faire. Ils ne vivaient pas entre hommes, isolés de tout. Ils vivaient en famille, avaient des relations professionnelles avec les autres acteurs du travail du bois dans la forêt. Ils rencontraient régulièrement leurs clients. Leur habitat était particulier, mais ils vivaient comme les hommes de leur temps.
Et ils ont vécu longtemps comme ça ?
Le premier que j'ai trouvé, Pierre Laurençot, est né vers 1700. Le dernier que j'ai identifié est Joseph, votre grand-père, qui est décédé en 1899. Cela couvre donc une période de deux siècles. Il est sans doute possible de remonter plus haut. Ce sera le travail de vos descendants.
(Armand s'enfonce dans ses pensées)
Allons, parlons d'Etienne et Thérèse. C'est pour eux que nous sommes là, pour leur mariage.
Oui, parlez-moi d'eux.
Etienne, qui toute sa vie sera "coupeur de bois", avait 50 ans. Thérèse avait 25 ans.
50 ans ! Il s'est marié bien tard.
En fait, son mariage avec Thérèse Gaillard est son second mariage. En 1771, alors qu'il avait environ 31 ans, il a épousé Anne Françoise Michel, qui elle avait environ 44 ans.
Il était coutumier des grands écarts d'âge l'arrière-papy ! Et ils ont eu des enfants ?
Anne était veuve, et avait au moins deux enfants nés de son premier mariage. Ensuite, il y a une petite énigme. Anne a donné naissance le 28 mars 1771 à une petite fille née de père inconnu, et prénommée Anne Françoise. Malheureusement, l'enfant décède le 1er avril suivant, à l'âge de quatre jours.
Si le père est inconnu, Etienne n'est pas son père.
Ce n'est pas certain. Etienne et Anne se sont mariés le 24 avril 1771(3e acte, page droite), soit à peine un mois après la naissance de l'enfant.
Si Etienne était son père, il attendait peut-être le mariage pour reconnaître officiellement l'enfant.
C'est la conclusion à laquelle je suis arrivée. Bien entendu, nous ne pouvons rien affirmer. Le couple ne semble pas avoir eu d'autres enfants. Anne est décédée en 1786, vers l'âge de 59 ans. Ils ont donc été mariés pendant quinze ans. Cinq ans plus tard, Etienne a épousé Thérèse Gaillard. Leur premier enfant, une fille, est née deux mois après leur mariage. Elle se prénommait Anne Françoise. Ce n'est peut-être qu'une coïncidence. Malheureusement, cette seconde Anne Françoise ne vivra que deux semaines.
C'est étrange. Quand je pense à mes ancêtres, je pense à des personnes un peu guindées, un peu à cheval sur les traditions. J'ai du mal à penser à eux comme des hommes et des femmes qui, en définitive, nous ressemblent, avec leurs sentiments, leurs contradictions, leurs bonheurs et leurs malheurs. Et donc, après Anne Françoise, Etienne et Thérèse ont-ils eu d'autres enfants ?
Oui, ils ont eu dix enfants : cinq fils et cinq filles, nés entre 1790 et 1808.
Dix enfants !
C'était fréquent. La mortalité des enfants en bas âge était très importante. Sans avoir beaucoup creusé la question, j'ai rapidement trouvé les décès de trois filles, respectivement âgées de deux semaines, de trois semaines et de deux ans. Au-delà du nombre d'enfants, ce qui est marquant pour ce couple, c'est la multiplication des lieux de naissance. Ils travaillaient dans les bois. Quand une mission était terminée, ils partaient vers un autre bois, et ainsi de suite. Les suivre est un vrai jeu de piste... Chaque naissance est comme un petit caillou blanc qui permet de les retrouver.
[clic] Itinéraire d'Etienne et Thérèse
Chaque lieu de vie n'est pas très éloigné du précédent. Mais effectivement, les suivre, ce n'est pas simple. Et vous pouvez me parler de leur métier ?
Je l'ai fait il y a quelques temps. Vous pouvez relire l'article "Les hommes du bois".
Je vais le faire. Je vais vous quitter, le cortège se forme. Ils vont bientôt entrer dans l'église. Je vais me faufiler dans un coin, et assister à la cérémonie du mariage. Au revoir.
Au revoir Armand. Je vous souhaite de belles rencontres.
Si vous souhaitez partager vos propres réalisations : textes, vidéos, graphismes, BD, podcasts, livres photos et autres... vous pouvez les partager sur le groupe Facebook que j'ai créé à cet effet. Sur ce groupe, vous pouvez aussi lire des articles d'autres auteurs. Il s'agit d'un groupe privé, il faut donc s'y abonner. Vous pouvez toujours - abonné(e) ou pas - prendre connaissance des objectifs de ce groupe en lisant le texte de présentation.
Ce rendez-vous se rapproche de chez moi, c'est ma région. LAURENCOT et GAILLARD sont des noms qui me parlent, pas dans ma généalogie, mais déjà entendu souvent ces noms.