Etienne Pétel m'a conviée à son mariage avec Catherine Comont. Je suis à Lanquetot, en Pays de Caux, dans l'actuelle Seine-Maritime. C'est une région que je connais. Et non, point de fromage, mais du lin, du lin à perte de vue !
Bonjour Etienne. Merci de m'avoir invitée à vous rencontrer le jour de votre mariage.
Merci à vous d'être venue. Je n'ai pas trop de temps à vous accorder, mais il m'est venu aux oreilles que vous avez quelques questions à me poser. Je veux bien y répondre, mais faisons vite. Le cortège de la mariée ne va pas tarder à arriver.
Allons donc à l'essentiel. Votre métier m'intrigue ! Vous êtes siamoisier. Quel est ce métier ?
Euh... Je fabrique toiles appelées siamoises !
Donc vous êtes tisserand.
Oui, je tisse, mais une étoffe particulière : la siamoise.
Pourquoi est-elle une étoffe particulière ?
C'est une étoffe faite d’une chaîne de lin et d’une trame de coton. Regardez autour de vous : nous avons du lin à profusion. Avant, nous fabriquions des toiles toutes en lin, trame et chaine. Mais cela rapportait peu, et ce n'était qu'un métier d'appoint pour l'hiver.
Mais il n'y a pas de champs de coton par ici.
Bien entendu, nous ne cultivons pas le coton. Il arrive des Amériques, au port du Havre. Autour de Rouen, il y a beaucoup de tisserands qui fabriquent des toiles tissées uniquement en coton, les rouenneries. Nous, on mélange coton et lin, et nous fabriquons des siamoises. Ce sont des étoffes plus appréciées, car plus légères, plus agréables à travailler pour faire des vêtements.
Mais pourquoi ce nom de "siamoises" ? C'est assez étrange....
Les anciens nous ont raconté que cette idée est venue des étoffes offertes à Louis XIV par le roi de Siam. Ces étoffes étaient faites de coton et de soie. Nos étoffes leur ressemblent, alors ils les ont appelé siamoises, et moi, je suis siamoisier ! Ne m'en demandez pas plus. Ce n'est peut-être qu'une légende. Je ne sais pas qui était ce roi de Siam, ni si ce pays, le Siam, existe vraiment. C'est une histoire qui se raconte à la veillée.
Le Siam existe bien. C'est un royaume situé tout à l'est, entre l'Inde et le Chine. Un jour lointain, ce royaume prendra le nom de Thaïlande. Et j'ai apporté une image de la réception des ambassadeurs de Siam par Louis XIV.
Alors, c'est peut-être vrai. Il me reste peu de temps, j'entends le cortège. Ma belle Catherine va arriver.
Je n'ai plus que deux questions. Vous travaillez seul ? Et où travaillez vous ?
Où je travaille ? Quelle question ! Chez moi, bien entendu. Nous avons une pièce dédiée à cette toile dans la maison. C'est impossible de travailler seul. Entre le champ de lin et la toile finale, il y a beaucoup d'étapes. Nous, les siamoisiers, nous filons et nous tissons. Aujourd'hui, c'est devenu notre métier principal, donc nous devons produire beaucoup de toiles pour pouvoir vivre correctement. Alors toute la famille participe, du plus jeune au plus âgé. Mais cela rapporte plus que le travail de la terre. Ce qui d'ailleurs met parfois en colère Monsieur le Curé et quelques autres, car ils disent que les cultures sont abandonnées. Ce n'est pas faux, mais nous vivons mieux. Ah ! cette fois, je vous quitte. Le cortège est arrivé. Au revoir.
Au revoir Etienne, je vous souhaite beaucoup de bonheur avec Catherine. Merci d'avoir répondu à mes questions.
Etienne Pétel est le Sosa 380, génération 9, de Sosa1 Vanwalleghem.
Etienne vit au temps de l'âge d'or du tissage de lin. La culture du lin va continuer, mais une grande partie de la filière "Tissage de lin", et en particulier la production des siamoises, disparaîtra vers la fin du XVIIIe siècle. Le tissage du lin renaîtra au début des années 2000.
En regardant la lente danse d'un champ de lin fleuri, une question me trotte dans la tête. Comment un jour un humain a-t-il eu l'idée de fabriquer de la toile à partir d'une tige de lin ?
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