Les tourments de Jean Allin (1687-1721)

Nous sommes bien le 19 octobre, mais en 1810. Il y a donc 214 ans. Je suis... Je suis... Je reconnais ! Devant l'église de Migré, en Charente Maritime. J'ai reçu un message très pressant de Jean Allin : "Je dois vous rencontrer de toute urgence à Migré le 19 octobre 1810 - Jean Allin". J'ai cherché dans mon arbre, et j'ai trouvé trois Jean All(a)in. Jean (1687-1721), Jean (1717-1802), fils du premier. Et Jean (1745-1810), fils du second. C'est aujourd'hui son enterrement. Est-ce lui qui m'appelle ?

• Ah ! Bonjour, vous êtes là !
• Bonjour, j'ai bien reçu votre message. Mais qui êtes-vous ? Je suis un peu perdue. Jean, le grand-père du défunt ? Jean, son père ? Ou Jean, le défunt qui est enterré aujourd'hui ?
• Le grand-père du défunt, bien entendu !
• Cela n'a rien d'évident... Vous paraissez bien tourmenté, et votre message m'a intriguée.
• Oui, je suis tourmenté. Jean, mon petit-fils, a eu une fille Jeanne. Aujourd'hui, elle n'a qu'un an. Mais elle va grandir et se marier avec Charles Passebon. Il est encore temps d'agir : il faut empêcher ce mariage !
• Empêcher ce mariage ?
• Oui, moi, je ne peux faire : il y a 86 ans que je suis mort ! Mais vous, vous êtes vivante et il faut empêcher ce mariage, celui de Jeanne et Charles ! Vous pouvez agir.
• Empêcher leur mariage ?
• Arrêtez de répéter cette phrase... Nous perdons du temps.
• Il faut que je comprenne pourquoi il faut... empêcher ce mariage...
• Parce que Jeanne et Charles vont avoir des descendants. Et l'un d'eux va épouser sa cousine. Et ça, les lois de l'Eglise l'interdisent. Je me demande comment un curé a pu accepter de leur donner la bénédiction nuptiale.
• Il me faut un peu de temps pour comprendre. Il faut que je cherche dans mon ordinateur. Je l'allume et...
• Vous avez une boîte magique ! Seigneur Dieu, vous n'allez pas l'utiliser ?
• Ce n'est pas une boîte magique, c'est... disons un parchemin du XXIe siècle. Et si je ne peux pas l'utiliser, je ne peux pas vous aider.
• Un parchemin ? Cela ne ressemble en rien à un parchemin. Je ne veux pas regarder ça.
• Et bien, tournez-vous, ne regardez pas. (Jean me tourne le dos) Voilà, c'est bien... Alors le mariage de Jeanne Allain et Charles Passebon, oui, je l'ai. Leurs descendants... Oui... Ah, j'ai trouvé, il y a bien un implexe !
• (Jean se retourne brusquement) Un inceste !
• Mais non pas un inceste, un implexe, cela n'a rien à voir... Un implexe existe lorsque deux personnes qui se marient ont un ancêtre en commun. J'ai bien dit un ancêtre, c'est à dire pas leurs parents, mais un de leurs grands-parents, de leurs arrière-grands-parents, ou au-delà. Oups ! Il y en a même deux !
• Deux inc...inc... implexes ! Vous voyez bien qu'il faut empêcher ce mariage !
• Vous souvenez-vous des règles du Droit Canon en matière de consanguinité dans un mariage ?
• Bien entendu : le mariage est interdit jusqu'au 4e degré de parenté. Ensuite, il est possible, mais il faut obtenir de Monseigneur l'Evêque une dispense de parenté pour consanguinité. Certes, je suis mort, mais j'ai toute ma tête ! 
• Si vous voulez empêcher ces implexes, ce n'est pas un, mais trois mariages qu'il faudrait empêcher.
• Je suis mort trop jeune ! Je n'ai pas eu le temps d'expliquer les Saintes Règles à mes enfants.
• Vous êtes mort bien jeune effectivement, à 33 ans. Mais vos descendants n'ont pas enfreint les "Saintes Règles". Votre fils Jean a épousé Louise Marchand. Ils ont eu au moins trois enfants :
  • Jean qui a épousé Jeanne Tierce. C'est lui qui est décédé aujourd'hui.
  • Louise qui a épousé Louis Bergeron
  • Révérant qui a épousé Louise Péquier
    • Une descendante de Louise, Rachel Bergeron a épousé un descendant de Révérant, Georges Mouclier.
      • Puis une descendante de Georges Mouclier a épousé un descendant de Jean. Nous avons nos deux implexes.
• (Jean semble abattu) Alors, c'est vrai, ils avaient raison. Mes descendants se sont mariés entre cousins.
• Qui "Ils" ?
• Des bruits, des rumeurs, des chuchotements... 
• Ils ont raison, mais ils ont tort. Rachel et Georges étaient bien cousins, mais au 5e degré, donc hors de l'interdiction canonique. Quand au second implexe, là encore, il y avait bien cousinage, mais du 7e au 6e degré. Vos tourments peuvent cesser. Aucune règle de l'Eglise n'a été enfreinte.
• Et l'Evêque a accordé les dispenses nécessaires.
• Je ne sais pas. Car lorsque ces mariages ont eu lieu, il y avaient deux cérémonies. Une cérémonie civile obligatoire pour que le mariage existe, et une cérémonie religieuse si les mariés le souhaitaient.
• "Si les mariés le souhaitaient" ! Que me racontez-vous ? La bénédiction nuptiale est une obligation, car sinon, le mariage n'existe pas.
• Jean, les temps ont changé... Les deux mariages ont eu lieu au XXe siècle,  donc bien longtemps après votre mort...
• Peut-être, peut-être... Vous pouvez me donner la belle image sur votre parchemin ? J'aimerais la regarder tranquillement et pouvoir répondre à ces rumeurs.
• Pas de souci. Là voilà.
• Merci. Bon, j'ai sans doute été un peu bourru... Mais je suis comme ça et la mort n'y a pas changé grand-chose. Encore merci d'être venue et de m'avoir expliqué tout ça...
• Ce fut un plaisir. Au revoir Jean.

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