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Marie-Louise Martin (1920-2007) - Aloys et ses copains

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Petit à petit, Aloys* (ou l'un de ses copains), s'est installé sur l'épaule de Marie-Louise. Elle mélangeait les dates, les heures, oubliait les rendez-vous. Quand elle partait, elle savait où elle allait. Mais à l'arrivée, elle ne savait plus pourquoi elle était là. Elle pouvait dire trois fois de suite à la même personne "Aah ! Bonjour. Je suis contente de te voir. Mais qu'est-ce que tu fais là ?". Mais elle nous reconnaissait. Elle mélangeait un peu les prénoms, mais elle nous reconnaissait. L'arrivée de l'euro fut un grand moment. Marie-Louise emmêlait les anciens francs, les francs et les euros. Ce qui nous valut cette phrase inoubliable : "Mais comment je vais faire pour payer 325 000 francs de loyer avec 1000 euros de retraite ?". Pourtant, Marie-Louise reprendra le contrôle de son porte-monnaie, au moins pour les courses du quotidien. Et son talent en calcul mental ne l'abandonnera pas de sitôt.

 

Juillet 2006

La première mesure fut le remplacement de la cuisinière à gaz par une cuisinière électrique. Puis la pose d'un téléphone à grosses touches, avec le nom du correspondant. D'un commun accord, des démarches ont été entreprises pour la mise sous tutelle de Marie-Louise. Il y eut le recours à une infirmière. Mes sœurs et leurs maris les plus proches géographiquement, mais aussi leurs enfants, se relayaient auprès d'elle, pour s'assurer qu'elle mangeait, qu'elle prenait ses médicaments, pour faire ses courses, pour assurer les rendez-vous médicaux, et répondre aux nombreux appels téléphoniques qu'elle leur passait... Il y eut l'achat d'une pendule bien spéciale, qui indiquait non seulement l'heure, mais aussi le moment de la journée : matin, après-midi, soirée, nuit. Ce qui n'empêchait pas Marie-Louise d'appeler un peu à n'importe quel moment.

  • Je t'appelle parce que je suis toute seule, et que je m'ennuie
  • Maman ! Tu sais quelle heure il est ?
  • Mais non ! Comment tu veux que je sache ?
  • Regarde ta pendule. Il est écrit quoi ?
  • Deux
  • Deux quoi ?
  • Ben deux heures !
  • Et à côté, il est écrit quoi ?
  • Nuit
  • Deux heures dans la nuit, il est deux heures du matin ! Maman, ils font quoi les gens à deux heures du matin ?
  • Mais comment tu veux que je sache ? Ils font ce qu'ils veulent, les gens. Mais moi, je m'ennuie !

Elle eut aussi un collier d'alarme. Elle ne l'aimait pas, car elle le trouvait très moche. Pourtant, une fois, elle s'en est servi. Elle était tombée, trop loin du téléphone, et elle a appuyé sur le gros bouton rouge qu'elle détestait tant. Les pompiers sont intervenus, mais pour entrer, ils ont forcé la porte. Quelle colère ! Oubliés les secours apportés, oubliée la gentillesse des pompiers, oubliée la raison pour laquelle ils étaient entrés en forçant la porte. La porte, elle ne voyait plus que la porte !

  • Non mais, vous avez vu ! Ils ont défoncé la porte ! Regardez-moi ça, c'est pas du travail ça ! Ah ben, je ne suis pas près de m'en resservir de votre collier !

Le collier a fini sa vie dans le tiroir de sa table de nuit.

Pendant un moment, chaque semaine, elle se rendait chez le boucher, et achetait un gros steak bien tendre. Steak qu'elle ne mangeait jamais.

  • Maman pourquoi tu achètes ça, alors que tu ne le manges pas ?
  • Mais c'est pas pour moi !
  • C'est pour qui ?
  • C'est pour mon père. Il vient manger dimanche. Tu veux pas que je lui donne une assiette vide ?

Inutile alors de lui rappeler que son père était décédé depuis presque cinquante ans.

Il y a eu des moments bien plus pénibles, bien plus durs. Surtout quand elle se rendait compte qu'elle perdait la tête : "Je deviens folle, je sais que je deviens folle !". Des moments où il fallait démêler le vrai du faux. Elle se plaignait d'une infirmière, censée venir tous les matins à huit heures. "Mais des fois, elle arrive à dix heures ou à onze heures". "Mais non Maman, elle sait que c'est important, elle vient à huit heures, elle me l'a confirmé". "T'es sûre ? Moi, je te dis qu'elle vient à n'importe quelle heure". Et c'était vrai ! L'infirmière utilisait un appareil qui enregistrait des données et l'heure à laquelle ces données avaient été recueillies. De guerre lasse, ma sœur s'est attaquée au mode d'emploi de l'appareil, a trouvé comment récupérer les informations, et a eu la preuve qu'effectivement l'infirmière passait à des heures très variables, ce qui avait un impact sur la santé de Marie-Louise.

Nous avons envisagé la maison de retraite. Mais depuis des années, Marie-Louise nous répétait que si nous "la mettions" en maison de retraite, elle se laisserait mourir. Et connaissant son caractère et sa volonté...

D'une vidéo tournée en 2006, j'ai extrait un court moment (un peu plus d'une minute). 

A chaque fois que je regarde cette vidéo, je suis étonnée. Marie-Louise raconte que chaque nuit des personnes dansent une farandole sur son plafond. Mais elle n'est pas effrayée. Intriguée oui, mais aucune peur ! Le mystère a été résolu. Marie-Louise habitait en centre ville. L'appartement avait des volets à claire-voie. Devant chez elle, un lampadaire et des arbres. Ce qu'elle voyait, c'étaient les ombres de ces arbres projetées sur son plafond.

*Aloys Alzheimer

 

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J
Merci
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@
Tellement beau votre récit, délicat, respectueux, vrai, et rempli d'amour.
Répondre
C
Très émouvant ce récit ! et la vidéo marche très bien .
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J
Merci
C
C'est beau.
Répondre
J
Merci