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Louis Bonis, bagnard (1869-1896)

[clic] Dans quel monde vivait-il ?
 

- Bonjour Louis

- Bonjour M'dame. On se connait ?

- Non, nous ne nous sommes jamais rencontrés. J'ai croisé votre chemin à Saint-Benoît d'Hébertot dans le Calvados, et j'ai suivi votre parcours.

- "Parcours" ! Quel joli mot. J'aurais plutôt dit : "Dégringolade".

- C'est vrai que vous avez fait très fort, et vous avez commencé bien jeune.

- Ah ça oui ! Tant que le père était vivant, ça allait. On n'était pas riches, mais on vivait normalement, comme les autres. Et puis le père est mort. Le 27 janvier 1876 (page droite). Je pense que c'est la seule date qui reste gravée dans ma mémoire, avec celle de ma condamnation. La mère, seule avec quatre enfants, et Emile qui n'était même pas né ! Moi, j'avais même pas 7 ans. et Eugène allait sur ses 9 ans. Après la mort du père, il a fallu qu'on parte.

- Vous avez quitté Sainte-Marguerite et vous êtes arrivés à Saint-Benoît. Mais je ne sais pas quand exactement.

- Moi non plus, c'est assez confus.

- Je sais que vous étiez en Pays d'Auge en 1880. Dans votre dossier de condamnation au bagne, il est dit que le 14 juin 1880 - vous aviez tout juste 11 ans - les gendarmes de Lisieux vous ont arrêté pour vol. Mais il n'y a pas eu de suite : vous avez été "remis à vos parents". Par contre, en 1889, le ton change. Le 6 mars 1889, vous êtes condamné à 1 mois de prison, par le Tribunal de Pont-L'Evêque pour "Mendicité en réunion, vol et complicité".

- Mais comment vous savez tout ça ?

- J'ai trouvé un article de journal qui en parle.

- Un article dans le journal ! Je savais pas.

- Vous voulez le lire ?

- Le lire ! Mais M'dame, j'ai jamais appris à lire.

- Je peux vous le lire, si vous voulez.

- Ah oui, ça m'intéresse.

- Voilà :

Le Journal de Honfleur, 6 mars 1889, page 3, 2ème colonne [clic sur l'image pour voir l'article dans le journal]

- Ma pauvre mère... Elle était pas complice, mais je déposais chez elle ... des choses ... Les gendarmes ont pas fait la différence entre elle et moi.

- Après cet épisode, vient le temps du recensement militaire. (page droite, 1er colonne, sous le nom de Bosnis. La date de naissance est erronée : Louis Bonis est né le 11 mars 1869, et non 1867, deuxième acte page gauche)

- Ils ont pas voulu de moi ! Trop petit : 1m49 ! Sur le coup, j'étais bien content. Aujourd'hui, je me dis que c'est peut-être une occasion loupée : j'aurais pu m'engager, avoir une autre vie.

- Comme votre frère Eugène. Lui non plus n'a pas fait de Service militaire, pour la même raison : trop petit.

- Eugène... Qu'est-ce qu'on a pu faire ensemble ! De sacrés coups...

- Jusqu'au 7 août 1893, date à laquelle tout bascule...

- C'est sûr, le Tribunal nous a pas loupé ! Huit ans de bagne. On y croyait pas ! On a volé, c'est vrai. Mais on a tué personne. On a même pas blessé quelqu'un. 

- D'après le jugement, vous entriez de nuit dans des maisons occupées. Les juges ont sans doute eu peur qu'un des occupants se réveille, et ...

- Mouais, je sais pas ce qu'on aurait fait si quelqu'un nous avait surpris. C'est aussi écrit dans le journal ?

- Oui, je vais vous lire l'article.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Journal de Honfleur, 9 août 1893, page 1, colonne 4

[clic sur l'image pour lire l'article dans le journal]

 

 

 

- "La Veuve Bonis" ! Ils auraient pu au moins écrire son prénom ! Ma pauvre mère ! Jamais elle a participé à nos coups, jamais. Mais on planquait nos butins chez elle. Alors ... Accusée de "recel". Pauvre femme. Elle avait déjà reçu un vrai coup de massue à la mort d'Armandine (2ème acte). Armandine avait 17 ans. 17 ans ! Et là, un nouveau coup dur. Je sais même pas si elle a survécu à cette histoire.

- Elle a survécu. Elle a continué à vivre, en se louant dans les fermes comme domestique. Elle est décédée le 11 janvier 1902, à Falaise (1er acte, page droite). Elle avait 63 ans.

- Ah ! Elle aura pas eu une belle vie. Des malheurs, sans arrêt des malheurs.

- Vous avez été condamné avec votre frère Eugène. Vous avez été transférés tous les deux à la prison de Tours. Ensuite, le 5 mars 1894, vous avez embarqué vers le bagne de Nouvelle Calédonie, à bord du même bateau "La Calédonie".

- Un voyage terrible ! Eugène et moi, on était bien sur le même bateau, mais ils nous ont séparés. Eugène ... Je sais pas ce qu'il est devenu ... Moi, j'ai tenu même pas deux ans dans cet enfer. Finalement, j'en suis mort, mais au moins, j'ai arrêté de souffrir.

- Oui, vous être décédé le 22 février 1896 (page 42/147, acte page droite) à l'Île Nou, à l'âge de 26 ans. C'est bien jeune.

- Et mon frère Eugène. Vous savez ce qu'il est devenu ?

- Je n'en suis pas certaine, mais je pense qu'il a terminé sa peine en février 1901, et qu'il a continué sa vie sur place... Mais je n'en sais pas plus.

- Eugène a survécu ! Je suis bien content. Dites, si un jour vous trouvez ce qu'il est devenu, vous reviendrez me le dire ?

- Oui, promis Louis, je reviendrais vous le dire.

- Alors à bientôt j'espère, M'dame. Au revoir.

- Au revoir Louis

 

Il n'y a aucun lien de parenté entre nous et Louis Bonis. Je l'ai rencontré au détour d'un registre et je me suis attachée à ses pas.

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E
C'est une bonne idée que d'avoir sorti un "pendu" du placard ! Au delà des actes commis, ces vies sont toujours émouvantes !
Répondre
J
Merci. Ce "pendu" ne m'est pas apparenté, mais j'ai du mal à passer à côté de ces événements.
V
Quelle tristesse cette (ces) vie(s) brisée(s) par la pauvreté ... Oui, parfois on s'attache à de parfaits inconnus qui nous touchent à travers le temps ... Très beau Rendez-vous
Répondre
J
Merci. Oui, la pauvreté est très présente. Il m'arrive parfois de m'égarer hors de mon arbre pour suivre des Invisibles, encore plus invisibles.